mardi 20 mai 2014

Cinéma français: le trop fidèle miroir cannois

C

haque année, selon un rituel immuable, les locataires de la rue de Valois (ministère de la Culture) et de la rue de Lübeck (Centre national du cinéma) présentent à Cannes le bilan du cinéma français. Contrairement aux habitudes, l’assistance n’aura eu droit à aucun chiffre ou presque, ceux-ci figurant sur le document mis en ligne par le CNC. Mais ce moment est traditionnellement l’occasion de quelques annonces concernant la mise en
 
œuvre de réformes significatives ou d’avancées sur les dossiers chauds du moment.

Les différentes sélections de cette édition font la part très belle aux films français. Si le Festival s’en fait le reflet trop exclusif, il courra le risque de se marginaliser au regard de la diversité des cinémas du monde.

Cette année a fortiori, on pouvait s’attendre de la part d’Aurélie Filippetti et de Frédérique Bredin à quelques révélations importantes, après les deux séries de propositions présentées comme décisives par deux rapports promus avec éclat par l’administration, celui de Pierre Lescure en janvier 2013 et celui de René Bonnell pile un an plus tard.
Sauf que non. Rien.
Pas la moindre ébauche de réforme, la ministre et la présidente du CNC s’étant contentées de rappeler qu’il fallait réformer, et d’affirmer que cela serait fait au plus tôt.
 
Bizarrement, aucune des deux administrations ne semble vouloir souligner une vraie réforme réussie cette année, celle des conditions d’autorisation d’ouverture des multiplexes, authentique victoire contre des lobbies politico-économiques. En lieu et place de quoi, la ministre et la présidente ont l’une et l’autre adressé un vibrant hommage à Gilles Jacob au moment où il s’apprête à quitter la présidence du Festival, ce qui était bien naturel, mais n’est pas vraiment une information.
 
Si Aurélie Filippetti a, à juste titre, à la fois rappelé quelques victoires obtenues depuis l’an dernier notamment à Bruxelles (pour ne pas dire contre Bruxelles), et rappelé les effets importants qu’auront sur le cinéma et sur la culture le résultat des élections de dimanche prochain, elle et la patronne du CNC se sont surtout attardées sur la vitalité du cinéma français, et sur la manière dont le Festival de Cannes en est le miroir.
 
Elles ont raison, assurément, à la fois sur cette vitalité, et sur la traduction qu’en donne le Festival, même si pour le premier point, le problème de plus en plus évident mais toujours tabou dans les discours officiels et des professionnels du trop grand nombre de films (et du trop grand nombre de copies de certains films) appellerait un bémol à ce bel enthousiasme. Surtout, il apparaît que la présence française à Cannes cette année est si imposante qu’il convient de s’inquiéter de ce qu’elle ne le soit trop.
 
Au programme des trois sélections officielles (Compétition, Hors Compétition, Un certain regard), de la Quinzaine et de la Semaine, figurent 87 longs métrages. Parmi eux, 21 sont des films français, soit près du quart. On peut à bon droit s’enorgueillir du dynamisme du cinéma d’auteur en France, mais que près du quart de l’ensemble des sélections du plus grand festival du monde soient des productions nationales est assurément disproportionné (et pas très poli pour les étrangers).
 
Après la première rafale avec l’occupation de toutes les ouvertures de sélections par des films français, après les réussites de première grandeur que sont les films de Mathieu Amalric et de Bertrand Bonello, des découvertes plus récentes, et d’ailleurs réjouissantes, sont venues témoigner que cette appellation nationale recouvre des propositions très différentes – et on reviendra lors de leur sortie sur l’énergie rageuse du Geronimo de Tony Gatlif, ou sur l’incroyable envolée du Bird People de Pascale Ferran –en attendant Godard, Assayas, Dumont, Téchiné et bien d’autres…
 
Parmi les 66 films d’autres origines, au moins 45 ne se seraient pas faits sans l’intervention décisive de Canal +, d’Arte, d’un coproducteur français ayant contribué de manière décisive, sans oublier le dispositif «Cinémas du monde» piloté conjointement par le CNC et l’Institut français, bras culturel du ministère des Affaires étrangères (11 titres aidés dans les sélections cannoises).
 
Cet activisme est digne d’éloges. La question porte sur la tendance de Cannes à devenir de plus en plus la vitrine de cette idée-là du cinéma. Si Cannes s’en fait le reflet trop exclusif, il courra le risque de se marginaliser au regard de la diversité des cinémas du monde, qui ne se résume pas à la dichotomie «artistes soutenus par la France versus produits de consommation hollywoodiens».
 
Beaucoup d’autres films se font dans le monde, sans passer par les comités de lecture français et la conception —légitime, ne nous lassons jamais de le répéter— qu’ils se font des films à faire ou à accompagner.
Pourquoi trois des principaux pays de cinéma aujourd’hui, la Chine, l’Inde et l’Iran, sont-ils si peu représentés sur la Croisette?
Parce que, pour des raisons différentes, leur production ne recourt pas, ou peu, au partenariat avec la France.
 
On dira que c’est se plaindre que la mariée est trop belle. Au contraire, c’est insister sur le difficile mais nécessaire équilibre à rechercher entre accompagnement d’une tendance forte, qu’il revient à Cannes de mettre en lumière, et attention à une diversité de plus grande amplitude —faute de quoi, ce sont d’autres festivals qui la prendront en charge.
 
Oui il faut continuer de développer les relations bilatérales en ajoutant d’autres pays aux 55 avec lesquels un accord de coproduction est déjà signé, et les relations multilatérales. Et oui, le Festival de Cannes est le premier festival de cinéma du monde, et il est bénéfique qu’il ait lieu en France.
 
Mais il ne pourra continuer de tenir ce rang que s’il n’est pas seulement la vitrine de l’«idée française du cinéma» mais l’espace de plus grande visibilité de toutes les idées alternatives au formatage par l’industrie lourde de l’entertainment
 
 http://fome-people.blogspot.com/2014/05/c-haque-annee-selon-un-rituel-immuable.html

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